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La malédiction des recherches documentaires

  • Olivier 

Ce post est paru initialement le 10 mars 2013. C’est une rediffusion de l’ancien blog, détruit en 2020 et que je récupère peu à peu grâce à Archive.org.

Je suis convaincu qu’un bon auteur doit éviter d’inventer ce qui existe déjà. Cela explique en partie les heures que je passe à faire des recherches sur tous les sujets (le reste de l’explication tient en 5 mots : « je suis sûrement un geek »). 

Deux exemples pour un roman en cours d’écriture (NDA : il s’agissait du Baron Noir, que j’ai fini d’écrire fin 2013, si je me souviens bien). 

La taille de Berlioz.
Pour une nouvelle, j’ai eu besoin de faire entrer Berlioz dans une salle de concert. La scène était décrite du point de vue d’un témoin provincial découvrant le compositeur pour la première fois.
Et là, bien sûr, je coince. Si le visage de Berlioz est assez connu à tout âge, tant son portrait a été tiré, peint ou caricaturé, comment le qualifier vu de loin ?
« Un homme de grande taille » ? « De petite taille » ? « De taille moyenne » ?
Il est impensable pour moi de me contenter d’un choix arbitraire, en pariant sur le manque de culture de son lectorat. Premièrement parce qu’il s’agit d’une imposture intellectuelle, deuxièmement parce que cela risque d’introduire des connaissances erronées dans le crâne de gens qui ne m’ ont rien fait, troisièmement parce qu’il se trouve toujours un lecteur plus savant que les autres qui viendra un jour ou l’autre me mettre le nez dans mon caca.

Je me suis donc mis en quête d’une estimation de la taille d’Hector Berlioz. Ce ne fut pas une mince affaire, le mot « taille » étant associé à celui du compositeur de toutes les façons possibles. Après deux heures à lire des sites plus ou moins intéressants dont aucun ne me livrait l’information recherchée (par contre on m’a proposé une fois ou deux d’élargir mon pénis), je trouvai enfin un site de fans qui présentait une copie du passeport du jeune Hector à 20 ans ! Youpi, je sus enfin qu’il mesurait exactement 1m63.
Bien sûr, une valeur absolue est une information très intéressante, mais elle est insuffisante quand on recherche en fait une valeur relative. Berlioz n’était pas grand, c’était sûr. Mais était-il petit ou moyen pour l’époque ? Sachant que la taille moyenne des français avait diminuée pendant la Révolution et l’Empire, rien n’était sûr. 

Berlioz en 1863, d’après Pierre Petit (ce qui ne suffisait pas pour affirmer que Berlioz l’était, petit).

Google est mon ami. Je me mis cette fois en quête de données statistiques de taille. Je trouvai au bout de quelques minutes des tableaux décrivant la taille des conscrits de Saint Cyr, de 1800 à 1900, ce qui me permis de constater que, par rapport à la classe 1864, Berlioz mesurait 10 cm de moins. J’en conclus que pour un témoin de la bourgeoisie parisienne, le compositeur devait être plutôt petit.
J’étais soulagé. Je pouvais enfin écrire « un homme de petite taille fendit la foule ».
Quatre heures de travail pour ça… après on s’étonne que je sois lent. 

La fascinante histoire de l’éclairage urbain.
Plus récemment, pour le même livre, je me posais une question innocente sur l’éclairage de l’Opéra Le Pelletier. Y’avait-il des chandelles, des lampes à huiles, de lampes à gaz dans ce bâtiment en 1864 ? La rue était-elle éclairée ? D’ailleurs, quelle rue ? La rue Le Pelletier longeait bien la façade principale de l’ancien opéra, mais quelles étaient les rues qui l’entouraient ? Le bâtiment ayant été rasé en 1873 et les rues redistribuées, la question n’était pas sans intérêt (si, je vous jure).


Je commençai par positionner le plan du corps de bâtiment (merci wikipédia) sur une carte de paris (merci iOS Map). Ce ne fut pas sans mal, les rues ayant changé de nom ou de tracé. La rue Pinon est devenue la rue Rossini (du nom d’un célèbre tournedos), la rue Chauchat a été allongée, et le tracé de la rue Grange-Batelière a été sérieusement raccourci.
Ensuite, je me renseignai sur l’éclairage.
Je savais déjà que Sartine, le ministre de Louis XV, avait fait installer des lampes à huile à travers toute la ville pour réduire la criminalité. Il avait suffit de les moderniser, ce qui avait été fait à la suite de Bruxelles, première ville entièrement éclairée au gaz (près de 2000 ans après le premier éclairage au gaz en Chine, soit dit en passant).

Lanterne à huile Parisienne.

J’en vins à vérifier à quoi ressemblait les lampes à gaz. Je les avais imaginées comme des globes de verre blanc pendus au plafond. J’avais raison pour le verre (même si les premières lampes étaient plutôt tubulaires), mais pas pour la position. Jusqu’en 1880, les lampes à gaz ne pouvaient pas pendre, la pression du gaz délivrée à Paris étant trop faible. En 1864, elles étaient donc dressées comme des bougies.

Il était aussi intéressant de savoir que le brûleur des lampes de l’éclairage public donnait une flamme en forme de large éventail (ou en corole) pour augmenter la luminosité et que les manchons des lampes à gaz qu’on peut encore aujourd’hui emporter en camping (et qui donnent une lumière très blanche quand le gaz enflammé les chauffe), n’existaient pas encore. Si on cassait le globe, la flamme brûlait directement dans l’air, ce qui expliquait peut-être en parti le nombre d’incendies accidentels de l’époque (accidents qui rendirent l’éclairage électrique obligatoire dans les théâtres à partir des années 1880 et des poussières). 

Finalement, la journée y était passée. Pour pas grand chose puisque je ne vais probablement modifier qu’un ou deux adjectifs par-ci par-là pour décrire l’éclairage dansant des flammes de gaz à basse pression et leur effet sur les ombres.
Et ça me permettra peut être de ramener ma science un jour (j’ai cependant un léger doute à ce sujet).

J’ai aussi lu plusieurs documents techniques d’époque sur les armes à feu du XIXe. Je vous passe les détails, parce que ces heures de lectures n’auront servi qu’indirectement à m’inspirer une idée de machine infernale. 

Bref, si vous ne voulez pas devenir maniaques, geeks ou fous, n’écrivez jamais, ni fiction ni rien de plus qu’un message à base de chatons sur Insta.
C’est un conseil d’ami.

Pour ceux qui serait intéressé, je vous recommande le site Mémoire de l’électricité, du gaz et de l’éclairage public, qui présente l’histoire du gaz de ville et de l’arrivée de l’électricité, par le biais de l’éclairage urbain. Le site est bourré de photos d’archive, c’est très intéressant.

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