Matt Ruff est un auteur que j’affectionne beaucoup, depuis que je l’ai découvert à mes tous débuts de novelliste amateur, autour de 2001.
Original, discret, drôle, insolent, Matt Ruff a le don d’écrire des romans intelligents, mêlant humour, horreur, fantastique, absurde et messages engagés. Découvrir Un requin sous la Lune m’a beaucoup appris sur les notions de suspension d’incrédulité et sur la logique interne d’une histoire. Rien que le pitch suffit à se faire une idée :
XXIe siècle. Vingt ans plus tôt, un mystérieux virus a frappé l’humanité, éliminant la plupart des populations noires. Seuls les rares porteurs d’un gène particulier ont survécu. Quel est le rapport entre ce massage et la construction de la plus haute tour du monde et futur siège social de Disney ? Un paumé mène l’enquête. Pendant ce temps, un requin se promène dans les égouts de New York, avec une montre multifonction dans l’estomac et un sous marin pirate rose écume les mers polluées.
Vous vous demandez comment on peut écrire un roman crédible avec des éléments aussi hétéroclites ? Eh bien lisez Un requin sous la Lune pour le savoir. Vous verrez ainsi que la suspension d’incrédulité peut être savamment étirée sans jamais se rompre, jusqu’au point où vous reposerez le livre en disant, hilare : « le salopard ! Il a osé ! »
On peut remarquer dans ce livre que Matt Ruff est un militant anti raciste dans l’âme et notamment un sincère défenseur de la communauté afro-américaine (oui, un défenseur d’origine irlandaise. On devrait tous être défenseurs actifs du droit des minorités, même quand on est roux).
Lovecraft Country (qui a donné lieu à une adaptation en série chez HBO) est également plein d’humour, sans être aussi loufoque qu’un Requin sous la lune. Il s’agit plus d’une série de nouvelles tournant autour des mêmes personnages, avec un côté pulp pas désagréable. Et comme elles s’enchaînent pour aboutir à une conclusion assez jouissive, vous pourrez le lire comme un roman.
Comme le Requin, ce livre est lui aussi un brûlot anti raciste, qui rappellera sans doute à certains Ring Shout, de P. Djeli Clark : dans l’Amérique ségrégationniste des années 50, une famille afro américaine tente de survive à la fois au racisme et aux adeptes des grands anciens. Oui, même pitch, mais à 30 ans d’intervalle ! Ce qui n’enlève rien au mérite de l’un ou de l’autre. Des romans très complémentaires et aussi érudits l’un que l’autre.
Je n’analyserai pas plus avant. Je préfère vous encourager à découvrir Matt Ruff (et par ricochet, P.Djeli Clark, que je vous présenterai peut-être dans une autre article, allez savoir, tout peut arriver dans ce bas monde).